Destination : 153 , Peur sur Ailleurs


Je ne sais pas si c'est une bonne idée

Mr. Ratty met toujours à l'abri sa vieille voiture au « Parking du Volcan » lorsqu'il se rend à la librairie de Mr. Turtle. L'endroit est propret, il sent le chèvrefeuille-banane et on y diffuse de la musique classique. De plus, une voiture de grand luxe y est toujours garée ce qui flatte le sentiment de supériorité de Mr. Ratty.

En revanche, Mr. Ratty n'a jamais compris le nom de ce parking : tout autour un paysage médiocre se complet dans une platitude décourageante que ne parvient pas à vivifier quelques vaillants peupliers. Mr. Ratty, afin de calmer son besoin fiévreux de logique, a décidé que le propriétaire des lieux était un parfait crétin, frappé d'une ignorance géologique désespérante.



Mr. Ratty s'apprête à entrer en César dans la modeste librairie de Mr. Turtle, lorsqu'il s'aperçoit que la porte lui résiste. Une affichette, qu'il avait ignorée, annonçait : Fermé pour cause de grève générale.

Mr. Ratty est estomaqué, furieux, hors de lui : « Me faire cela ! A moi ! ». Mr. Ratty a banni la télévision, étouffé la radio, brûlé tous les journaux. Mr. Ratty ne lit que des romans, déjà digérés savamment par ce paresseux Mr. Turtle.



Brusquement le ciel vire au gris sombre meurtrier et la grêle s'abat en coups de C.R.S. sur le dos de Mr. Ratty qui court comme un voleur vers le « Parking du Volcan ».



Ce qui frappe immédiatement le trempé Mr. Ratty c'est le silence, pas une cantate, pas un concerto, pas la moindre symphonie juste un silence glaçant de catacombes et cela sent ... ou plutôt cela ne sent plus comme avant. C'est à présent quelque chose de âcre, d'incommodant, d'indéfinissable comme mauvaise odeur.

La voiture de luxe a disparu.



Les mains de Mr. Ratty commencent à trembler dans ses poches comme si elles voulaient le prévenir, mais Mr. Ratty n'a jamais écouté son corps.

« Voyons où me suis-je garé ? » cherche Mr. Ratty. Son esprit peu à peu s'enfonce dans un brouillard mou de cauchemar. « Au premier, naturellement » Il ouvre la porte d'accès aux étages qui se referme violemment dans son dos. Mr. Ratty, qui allait grimper, fais demi-tour et tourne en vain la poignée de la porte, inerte. Ses mains s'affolent de plus en plus et ses jambes s'amolissent. Il débute sa montée en homme ivre s'agrippant à la rampe. Comme les marches sont hautes ! Mr. Ratty, pour se rassurer, entreprend de les compter.



Le voici arrivé au premier étage. Il est vide. Mais quelle odeur, seigneur, quelle odeur dégoûtante !

Mr. Ratty sort son mouchoir et le place sur son nez, ce qui lui perturbe la respiration.

« Je me suis trompé, je me suis garé au second » se dit faiblement Mr. Ratty et, de nouveau, il aborde une épuisante montée. L'odeur pestilentielle augmente.



Le deuxième étage ressemble étonnamment au premier : un vide éclatant, angoissant, oppressant, un vide vivant. Qu'est-ce qui se cache derrière chaque pilier et guette Mr. Ratty ? « Je deviens fou » Mr. Ratty soliloque. « Il n'y a pas de troisième étage. Ma voiture ! Où est ma voiture ? »



Brusquement éclate un rire, un rire démoniaque, un rire qui se moque de Mr. Ratty, qui l'humilie, un rire diffusé copieusement par tous les haut-parleurs.



Livide, Mr. Ratty en levant la tête s'aperçoit qu'un troisième étage est né sur le garage. Pour l'atteindre il faudra marcher sur des centaines de cadavres de rats. « Je ne pourrais jamais » s'avoue Mr. Ratty.

Le rire le poursuit, l'attrape et l'emmaillote puis soudain s'arrête net comme si on venait de trancher la gorge du rieur. Mais, alors, un grondement sourd le remplace. Il semble à Mr. Ratty qu'une masse coléreuse, dévastatrice, sortie des entrailles du garage, cherche à monter dans les étages.

« Le volcan vient de se réveiller ! C'est une aberration mais c'est ainsi et je vais crier » et Mr. Ratty crie comme un dément « Au secours ! À l'aide ! ».



« Chéri !»

« Quoi ? Tu me déranges. J'écris ».

« Pardon. Peux-tu me prêter ta voiture ? je dois aller à la librairie, mes livres sont arrivés ».

« Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Les clefs sont dans la poche gauche de mon veston. Après tout, cela te regarde ... »

FIN









EVELYNE W