Destination : 378 , Dilemmes et paradoxes


Conte

Il était une fois un roi, qui avait été un très grand roi, mais qui n’était désormais plus que l’ombre de lui-même. Il avait eu un fils, beau, intelligent, qui, comme tous les fils de roi, était destiné un jour à lui succéder sur le trône. Le roi aimait son fils comme nombre de pères ; le fils aimait son père comme tout enfant : il y avait entre eux un amour vrai et inconditionnel. Cependant, dans cette famille royale, de même que dans toute autre famille, l’affection n’empêchait pas l’incompréhension.

Depuis son enfance, ce fils était passionné par les sciences : mathématiques, physiques, astronomie, géologie… Il passait ses matinées à étudier, ses après-midi à expérimenter et ses soirées à observer. Sa passion grandissait avec lui, tandis que le poids du pouvoir royal auquel le destinait son rang pesait de plus en plus sur ses épaules. L’une le soulevait ; l’autre l’écrasait. Il se retrouvait pris en étau entre l’amour pour son père et celui pour les sciences. Plus le temps passait, plus approchait le moment où le jeune homme devrait sacrifier l’un pour l’autre. Ce dilemme le rongeait .

Le roi son père ne voyait rien de la souffrance de son fils. Il était accaparé par sa charge royale, ses devoirs et les lourdes décisions qu’il fallait sans cesse peser, car ce roi était profondément juste et plaçait cette difficile vertu au-dessus de toutes les autres. Il faisait preuve d’une tolérance infinie et souhaitait que son royaume fasse montre du même état d’esprit. Et sa plus grande interrogation à ce sujet, était la suivante : devait-il aussi tolérer l’intolérance ? Ses préoccupations, on le voit étaient immenses. Et puis, il venait d’un monde ancien, dans lequel les traditions ne se discutaient pas, elles s’acceptaient : il en était ainsi de la transmission filiale du trône. Il ne pouvait pas envisager un instant qu’il en aille autrement pour son fils.

Et le fils eut seize ans. Cette année-là, il s’était enthousiasmé des lois de la physique quantique et des théories de la relativité. La constante de Planck, les fentes de Young, les théories d’Einstein et leurs applications n’avaient aucun secret pour lui. Et, paradoxalement, en avançant dans ces connaissances contre-intuitives, il voyait se dessiner un parallèle troublant avec sa situation. Contre toute attente, ce fut cette similitude qui le décida.

Un soir, il vint trouver son père pour lui annoncer qu’il ne prendrait pas sa suite sur le trône. Le père tomba des nues, et tomba tout court, sous l’effet de la surprise. Il ne comprenait pas, il n’avait rien vu venir, ce n’était pas possible, ce n’était pas même envisageable (ce furent-là exactement ses mots).

Le fils sentit sa colère monter devant l’incompréhension de son père qui, pour la première fois, voulait imposer la volonté royale de force. Et le fils explosa, lançant à la tête de son père le seul argument capable de le faire vaciller : « Ce n’est pas juste ! » Il ajouta ces mots, sur un ton amer : « Je voudrais pouvoir remonter le temps, et tuer ton père pour t’empêcher de venir au monde ! »

Et il partit en claquant la porte. Il n’entendit pas la réponse que son père chuchota tristement : « Mais alors, mon fils, tu ne serais pas là pour le souhaiter… »

Le lendemain, le fils avait disparu, laissant sur le lit une lettre pour son père. Il expliquait regretter sincèrement la violence de ses dernières paroles, qu’il ne pensait pas du tout. Mais que, devant l’impossibilité de pouvoir devenir celui qu’il voulait à ses côtés, il préférait s’en aller découvrir les mondes terrestres et, qui sait, peut-être même extra-terrestres ? La lettre se terminait sur ces mots plein de sagesse : « Je sais que je ne sais rien … mais je voudrais le vérifier ».

De ce jour, le père déclina. Il continuait tant bien que mal d’exercer son pouvoir mais sans réelle envie. A quoi bon continuer ? Fort heureusement pour la vie du Royaume, le roi avait toujours su s’entourer de conseillers et de ministres à son image : justes, clairvoyants et soucieux de la prospérité et du bien-être de ses sujets. Ainsi, la vie put continuer, tout au moins en dehors du palais.

Car il n’en allait pas de même à l’intérieur. Un étrange silence régnait, les gens allaient et venaient d’un pas feutré et discutaient entre eux en chuchotant. La vie semblait, non pas s’être arrêtée, mais comme assoupie.

Les seuls appartements à échapper à cette anesthésie générale étaient ceux de la princesse et, par effet de vase communicant mais dans une moindre mesure, ceux de sa mère la reine. Car oui, il y avait aussi des femmes dans ce château, et si nous n’avons pas encore eu l’occasion de les présenter, c’est que là n’était pas notre propos.

N’allez pas croire que, dans ce royaume, la reine ait été reléguée au rang de femme consort et qu’on ne sort en fait qu’en de très rares occasions, toujours affublée d’une belle robe et d’un sourire hollywoodien. Non, dans ce royaume, les reines étaient en charge de la mission la plus sensible : la diplomatie. Pour faire simple, la reine, de par ses fonctions royales, étaient en quelque sorte la ministre des affaires étrangères du Royaume. Quand le roi, pour répondre à ses devoirs de gouvernance, était tenu de rester au palais pour présider ses conseils et gérer les affaires du royaume ; la reine voyageait de par le monde, rencontrait les dirigeants et les grandes personnalités de chaque pays, en vue de maintenir des relations harmonieuses avec chacun, aussi bien sur les plans politiques, économiques que militaires.

La reine se défendait plutôt bien dans ce domaine. Disons-le franchement, elle était même très forte et le royaume pouvait avoir une confiance aveugle dans son jugement. Elle avait toujours su éviter les conflits et était même parvenue à étouffer les prétentions territoriales d’un voisin un peu gourmand grâce à la parabole de l’Emmental, qu’elle avait astucieusement transposée aux richesses et aux insuffisances de son pays .

La reine évidemment, avait été anéantie par la disparition de son fils dont elle n’avait, depuis, aucune nouvelle. Elle avait senti, tout au long des années d’enfance et de jeunesse de ses enfants, la souffrance grandissante de son garçon. Elle avait espéré que les choses s’arrangeraient d’elles-mêmes ; elle avait essayé d’user de ses talents diplomatiques pour apaiser la situation. Elle avait échoué car, évidemment, qui peut raser le barbier ? Et, s’il s’agissait du seul échec qu’elle ait connu, c’était aussi le plus douloureux qui soit.

Le plus grand réconfort de la reine était sa fille, qui était en fait la sœur jumelle du prince. Elle aussi avait été bouleversée par le départ de son frère, toutefois moins que ses parents : le lien de gémellité qui les unissait était si fort, qu’elle savait qu’il était vivant. Certes elle souffrait de ne plus le voir, mais elle se consolait en se disant qu’il était enfin heureux. Et elle savait qu’il reviendrait un jour, il le lui avait promis cette nuit-là, quand il était venu l’embrasser avant de partir, tout en lui faisant jurer de n’en rien dire à personne. Il lui avait alors dit en riant : « Je reviendrai pour vérifier si je suis devenu plus jeune que toi ! »

La princesse chérissait ses parents qui l’aimaient tout autant, se sentait démunie face à leur chagrin. Elle essayait tant bien que mal de les rassurer, sans trahir sa promesse, leur rappelant le chat de Schrödinger . Mais cette histoire n’avait pas l’air de les réconforter, au contraire… son père lui répondit un matin, avec beaucoup d’ironie, que sa fable était digne d’un conte de Curry . Sa mère, silencieuse, remuait les feuilles de sa tasse de thé d’un air contemplatif . Alors la princesse ne dit plus rien.

Elle ne dit plus rien mais elle n’en pensait pas moins. Elle était aussi intelligente que son frère, aussi intrépide et courageuse aussi. Elle était également douée d’un sens moral et d’une capacité de compréhension intuitive d’une rare finesse. Ses parents étaient bien conscients de ses précieuses qualités mais ils n’allaient pas plus loin. Là encore, le poids des traditions était trop fort et, malgré leur amour sincère pour leur fille, ils ne percevaient pas ses aspirations. La princesse, en effet, en était sûre : ce serait elle, le prochain roi !

Un jour, un étranger vint frapper à la porte du palais, se présentant comme un émissaire d’un lointain pays étranger. Son apparence était noble et riche, personne ne mit en doute ses origines respectables. Il fut reçu avec faste à la table royale et se présenta auprès du roi et de la reine. Surpris par le calme du palais, il interrogea ses hôtes qui lui racontèrent leur triste histoire. L’étranger eut l’air sincèrement touché par ce récit mais ne dit rien.

La princesse arriva au moment du dessert. Elle avait accompagné le gouverneur principal dans sa visite des maréchaussées du Royaume. Elle salua distraitement l’étranger, obnubilée par le compte-rendu de ses observations qu’elle souhaitait partager avec son père. Le gouverneur la laissa parler, n’interrompant son propos que pour compléter quelques détails ou donner son point de vue. Il partageait cependant l’analyse de la princesse. Le roi et la reine écoutaient attentivement sans se rendre compte que l’étranger observait la scène d’un air amusé. Quand ils eurent terminé leurs échanges, il ne put s’empêcher d’intervenir :

- Votre majesté, pardonnez-moi peut-être mon inconvenance, mais il me semble que cette demoiselle fait montre d’un réel intérêt pour les affaires de votre Royaume. Et que, sauf votre respect, il se pourrait bien que vous ayez encore un futur roi sous votre toit…

Le roi s’étrangla de surprise, la reine resta bouche bée, le gouverneur sourit de satisfaction car, conscient des aptitudes de la princesse, il lui enseignait discrètement depuis plusieurs mois toutes ses connaissances…

Le roi répondit : « Mais… il y a toujours eu un roi pour gouverner ce royaume ! » Le gouverneur lui fit alors remarque que, certes, c’était la tradition, mais qu’elle n’avait aucun fondement juridique. La loi indiquait simplement que le roi en exercice transmettait les pouvoirs royaux à ses enfants, sans distinction de sexe.

Le roi, abasourdi, ne savait pas trop comment se dépatouiller de la question qui, pour le moment, le dépassait un peu. Il ajouta donc : « Je ne peux envisager cela sans avoir l’aval de mon fils, qui reviendra peut-être un jour demander ce qui lui était destiné ! »

L’étranger sourit, se leva pour partir et, avant de quitter la salle, se tourna vers le roi : « Je mens si je vous dis que votre fils n’est pas loin »…

A ces mots mystérieux, la princesse le reconnut aussitôt mais, à un signe discret, comprit qu’elle ne devait rien dire. Il fallait en effet laisser le roi et la reine réfléchir à cette nouvelle vision des choses qui bouleversait leurs habitudes. L’un et l’autre étant intelligents et avisés, ils eurent vite compris le bien-fondé de la proposition. Dès qu’il apprit cela, l’étranger revint et dévoila son vrai visage : le prince était revenu !

Dans les mois qui suivirent, la princesse fut rapidement amenée à suivre son père qui, petit à petit, allait lui laisser les rênes du pouvoir. Le fils de son côté, pour continuer à satisfaire sa soif de connaissance tout en restant proche de ses parents, accepta de suivre les traces de sa mère. Il faut dire que ses années passées en terres inconnues, de manière anonyme, lui avait déjà permis de se familiariser avec de nombreux peuples aux coutumes bien différentes.

Et tout est bien qui finit bien… Sans dilemme, ni paradoxes !



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En termes de philosophie morale, le dilemme exprime la situation où se trouve un agent lorsqu'il doit faire A et B mais ne peut faire à la fois A et B, ce qui le contraint donc à choisir entre l'un ou l'autre : quel que soit son choix, il n'aura pas rempli l'une de ses deux obligations



Paradoxe de la tolérance : Nous devrions revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer l'intolérant.



Paradoxe du grand-père : un voyageur temporel se projette dans le passé et tue son grand-père avant même que ce dernier ait eu des enfants. De ce fait il n'a donc jamais pu venir au monde. Mais, dans ce cas, comment a-t-il pu effectuer son voyage et tuer son grand-père ? (cf. Le Voyageur imprudent, roman de science-fiction de René Barjavel, paru en 1944.)



Paradoxe de Fermi : s’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ?



Paradoxe socratique : « je sais que je ne sais rien »Socrate est donc paradoxalement le plus savant, selon l'oracle de Delphes, bien que lui-même se dise ignorant. Se présenter comme ignorant permet en effet à Socrate d'engager ses interlocuteurs à faire pour eux-mêmes la recherche de la connaissance

Paradoxe du fromage à trous : plus il y a de fromage, plus il y a de trous; or plus il y a de trous, moins il y a de fromage; donc plus il y a de fromage, moins il y a de fromage.



Paradoxe du barbier : un barbier (qui est un homme) rase tous les hommes, et seulement les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes. Qui va raser le barbier ?



Paradoxe des jumeaux : la théorie prévoit qu'un jumeau qui voyagerait deviendrait plus jeune que son autre jumeau.



Paradoxe du Chat de Schrödinger : selon l'interprétation de Copenhague de la physique quantique, un chat pourrait être à la fois vivant et mort tant qu'il reste non observé.



Paradoxe de Curry : si cette phrase est vraie, alors le Père Noël existe.



Paradoxe des feuilles de thé : en remuant un thé, les feuilles au fond de la tasse se rassemblent au centre, alors que la force centrifuge les pousse au bord.



Paradoxe du menteur (ou Paradoxe d'Épiménide) : un homme déclare « Je mens ». Si c'est vrai, c'est faux. Si c'est faux, c'est vrai.

Myriam