Destination : 165 , Rétrospective de l'année prochaine


2012, l'année des petits riens

2012, l’année des petits riens



Julien se préparait à fêter le passage en 2013. Son café brûlant l’obligeait à se poser, à réfléchir. Que c’était-il passé en 2012 ? Le front barré de soucis, il ne parvenait pas à trouver. Il voyait bien toutes ces émissions à la télé qui regorgeaient de petits événements accumulés dans l’année. Mais ces événements, pour lui, ne représentaient rien. Oui, c’était bien ça, rien ne ressortait de l’année 2012. Rien dans cette course, ni dans ce rythme urbain qui l’essoufflait si souvent.

Il se prit à rêver. Et si…

Et si en 2013, les frontières s’estompaient peu à peu ? Et si, comme le sable qui coule entre nos doigts, elles nous échappaient ? Les hommes pourraient alors circuler librement. Plus besoin d’amasser papiers, certificats et petites preuves du quotidien pour obtenir un visa et venir voir les siens dans ce beau pays de France.

Et si en 2013, pour une année, femmes et hommes d’horizons différents échangeaient leur vie ? Une femme nomade peule viendrait prendre sa place, ce poste de prof d’histoire et de géographie qu’il ne supportait plus face aux adolescents grinçants de ce collège dit « sensible ». Elle leur parlerait des grands espaces, du désert tchadien, de sa « maison sans toit » qu’elle démontait puis chargeait sur le dos des dromadaires pour aller à la recherche de l’eau, de leurs déplacements rythmés par les contraintes vitales du climat. Elle leur expliquerait le regard des sédentaires lors de leurs installations, cet œil qui observe l’étranger, le juge et s’en méfie parce qu’il ne le connait pas et ne veut surtout pas le connaître. Elle leur montrerait les signes du changement climatique, des signes qui mettent en danger la liberté de mouvement de leur peuple nomade…

Julien s’imaginait déjà à dos de chameau. Ce qu’il ignorait, c’est qu’il devrait laisser sa place aux plus faibles de la tribu, les plus jeunes, les plus âgés, les plus fragiles et même les animaux les plus frêles seraient juchés sur la monture. Et lui devrait marcher. Marcher. Et marcher dans des conditions éprouvantes : dans la chaleur étouffante, le sable fuyant, l’horizon sans fin. Ses pieds s’enfonceraient dans un sol en perpétuelle mouvance. Il ne se doutait pas que son quotidien serait la répétition de tâches ingrates et dures. Il découvrirait ce vent chaud du Sud, ce vent qui apporte des vagues de sable. Des vagues qui tournent et enveloppent peu à peu l’espace. Un sable qui cingle le visage et s’immisce partout, dans chaque recoin des vêtements, dans la bouche pour y laisser un goût minéral et surtout dans les yeux. Des yeux douloureux et impuissants qui ne pourraient y échapper. Il serait écrasé de chaleur, de fatigue et malgré l’immensité du désert, il aurait au sein de cette communauté très peu de moments pour lui seul. Il rêverait souvent de s’isoler non pas pour allumer portable, télévision ou autre écran plat devant lesquels il s’abreuvait dans sa vie parisienne, mais pour se retrouver, se parler et penser. Et l’évocation de son bureau, de son travail assis serait à ce moment-là une promesse de repos. Il attendrait alors de retrouver l’immensité de la nuit, une nuit noire sans aucune lumière avec un ciel couvert d’étoiles à portée de doigts et un silence tel qu’il entendrait son cœur se déployer et battre.



Julien ne partirait point, trop de contraintes le liaient à sa vie moderne. Pourtant le temps d’un café brûlant, il s’était évadé. Et ce petit instant de liberté, ces petits riens marqueraient son année 2012.

Leïla T