Destination : 167 , Métamorphose


La métamorphose de Lily

La métamorphose de Lily





Lily était plutôt jolie. Une longue chevelure brune et bouclée lui tombait en cascade sur une taille fine. Ses yeux noisette pétillaient de malice et elle avait un sourire à faire s’envoler tous les papillons du quartier.

Lily se levait tôt le matin et dès qu’elle posait un pied à terre, tout s’enchaînait. Elle gardait un œil rivé sur le réveil et chacun de ses gestes se répétait inlassablement. Elle prenait surtout du temps pour dompter sa chevelure et pestait chaque jour contre les boucles rebelles qui tentaient de lui échapper. Il faudrait songer à les couper.

Lorsqu’elle avait endossé sa tenue de la journée, il lui fallait réveiller ses deux enfants. Elle devait alors se métamorphoser en maman conciliante, patiente mais déterminée. L’aiguille du réveil semblait accélérer sa course et elle ne voulait plus recevoir les remarques acerbes de Madame La Directrice. Son grand parti pour le collège après maintes plaintes et complaintes, elle emmitouflait le petit, direction l’école maternelle. Il fallait gagner quelques minutes sur la grande horloge de l’école aussi plaquait-elle sur son visage un masque souriant mais froid en croisant les parents du matin. Elle ne pensait plus qu’à son RER, celui de 8h28 qu’elle devait attraper pour essayer d’arriver à l’heure à son poste. La métamorphose de Lily s’affirmait. Son visage se fermait, ses traits se tiraient, son corps se tendait. Même son souffle était retenu.

Lily travaillait au casino. Non pas celui où smoking, robe de soirée se frôlent dans une ambiance feutrée mais celui où les spots lumineux agressent les yeux trop tendres. Ses yeux noisette prenaient alors une teinte noire et se rétrécissaient au fur et à mesure de la journée. Elle se transformait en caisse enregistreuse et avalait des kilomètres d’articles sur ce long tapis roulant qui n’en finissait pas de rouler.

La grande aiguille de l’horloge n’avançait plus.

Elle avait juste le temps de s’étonner devant certains articles qu’elle tenait en main. Des articles toujours nouveaux et surprenants. « Ils découpaient les fruits pour les vendre en boîte maintenant. Bientôt ils seraient vendus prémâchés ! », Pensa-t-elle.

Lily n’occupait pas un temps plein. Elle avait essayé à plusieurs reprises de l’obtenir mais sans succès. Pourtant son corps se courbait, sa figure oscillait devant la hiérarchie. Mais elle attendait, espérait

toujours.

Lily était ce qu’on appelle une mère célibataire. De retour à la maison, elle profitait donc de ses deux heures avant l’arrivée des enfants pour se transformer tour à tour en femme de ménage, cuisinière…

Elle en laissait toujours pour le lendemain parce que son fils déboulait du collège avec les fameux devoirs. Elle en avait déjà beaucoup, Lily, des devoirs mais elle voulait que son fils suive et échappe à l’échec scolaire. Aussi essayait-elle de redevenir étudiante, de retrouver ses souvenirs d’écolière pour l’aider. Comme c’était difficile ! Et certains professeurs se surpassaient pour inventer des énigmes, des travaux à n’y rien comprendre. Elle était fatiguée, Lily, alors parfois elle explosait contre son fils ; « Pourquoi n’avait-il pas mieux écouté ? Et compris ? »



Heureusement il lui restait les douceurs du soir. Le moment du bain avec son fils, les jeux d’eau, de bulles et de papouilles. Les câlins. Et surtout, avant d’aller dormir, pelotonnés tous les trois, leurs cheveux éparses étroitement mêlés sur de gros coussins, Lily retrouvait ses yeux pétillants pour leur raconter une histoire, une histoire juste pour eux, une histoire qu’elle inventait avec des mots magiques et des personnages truculents, une histoire un peu folle et parfois bancale mais elle lisait dans leurs yeux tout leur émerveillement.

Leïla T