Destination : 2 , En route vers l'Afrique.


MABOULE

On est quelques uns silencieux autour d'un braséro, la face blafarde, sculptée par la misère. On économise notre souffle, on a si faim.

Un peu plus loin le pont et sous le pont nos piaules de carton.

Lui, il arrive en se dandinant et en chantant avec sous le bras son djembé fétiche.

On l'appelle MABOULE parce qu'il arrive à être heureux même dans le mangrove de l'exclusion.

"Encore une belle journée MABOULE ?" Fait l'effort de lancer un qui puise ses dernières forces dans un litron de rouge qui circule.

"L'Afrique a mal de partout mec, mais elle rigole encore"

Il s'assied en tailleur et se met à taper sur son djembé. Ficelé dans sa couverture bariolée avec son chapeau conique de paille sur sa tête crépue il est plus beau qu'un évêque. On l'envie.

Etre noir pour avoir ce grand soleil ardent dans le ventre, cette folle envie de danser sur le pavé, la musique dans les veines en se foutant bien des crachats et des insultes de la vie.



Je m'éloigne un peu malgré le froid humide et me rapproche du fleuve. Il commence à scintiller les réverbères se sont allumés.

Me foutre à poil et plonger et crier comme quand j'étais môme : "Regardez comme je nage bien !"

"Je peux vous aider ?" Je sursaute et revient d'un coup dans le jour qui meure en silence. C'est un bénévole de ne je sais plus quelle assos. D'habitude je les aime bien les dévoués de la détresse. Ils ont le coeur accroché on est pas beau à regarder, comme miroir de la vie on fait mieux. Mais là, je ne m'explique pas, ses semelles épaisses qui ne font pas de bruit, ses mains aux ongles taillés, le ton de sa voix qui me rend plus pauvre, plus vermineux. Comme la générosité des autres peut vous supplicier. Je voudrais lui sauter à la gorge.

Tout se bouscule dans ma tête. Il s'éloigne lentement persuadé que je vais dire "Non" et je cris "Oui ! Ramène moi du papier à dessin et des crayons".

Il est surpris le gentleman. J'aimais dessiner ... avant de claquer la lourde de la vie pour m'offrir les bonheurs de l'enfer.

Il est revenu le saint débutant avec un superbe bloc de papier à dessin, du papier si épais que j'avais honte de le toucher et deux boites de crayons dont une boite de crayons de couleurs.

Maboule roulait des yeux en voyant le cadeau. "Oh mec ! t'as croisé un vrai marabout !"

Moi déjà je dessinais et redessinait un homme nu qui essayait de s'envoler vers le soleil, ses ailes étaient brisées.

Maboule ne me quittait plus. Il tapait en rythme lent sur son djembé.

"Dis mec laisse moi mettre des couleurs sur tes dessins. Tu sais en Afrique je dessinais des motifs pour le tissu des boubous".

Je dessinais, il coloriait.

Il plantait aussi sous mon ange mité des palmiers et des baobabs et des fleuves coulaient le Congo, le Limpopo, le Niger, le Sénégal et le Zambèze et des cahuttes de bois et de bouse de vaches s'organisaient en villages, des citées surgissaient du désert et mon ange essayait toujours de décoller.

Maboule et moi on était heureux.



Et puis Maboule a disparu. On a pas compris, surtout moi. J'avais le palpitant en berne mais je continuais à dessiner.

A présent à côté de mon ange, lui soutenant les ailes, j'ai fait apparaitre un être étrange noir qui portait un drôle de chapeau conique de paille.





EVELYNE W