Destination : 2 , En route vers l'Afrique.


Phoébus en déclin

Jeune enfant, ma vision de l´Afrique s´est forgée en regardant Daktari :
la réserve africaine, le lion qui louche et Judy la guenon. Ne riez pas, la petite fille de la ville était plus habituée aux forêts d´immeubles qu´à celles de
baobabs et de jujubiers. Alors, je rampais sur le sol de ma chambre, m´attendant à chaque poil de moquette à voir surgir un vilain braconnier ou un cupide trafiquant d´ivoire. Et puis ma grand-mère m´a initiée à la lecture.



L´Afrique s´est précisée grâce aux Petits contes nègres pour les enfantsblancs de Blaise Cendras. Et je repartais dans ma chambre en portant un caïman pour le mettre à l´eau.

Écolière de bon aloi, j´ai encore apprivoisé cette
Afrique si lointaine et méconnue avec un poème de Leconte de Lisle : Les éléphants. Le sable rouge, les lions repus, les fontaines bleues et surtout les éléphants,
« L'oreille en éventail, la trompe entre les dents, Ils cheminent, l´oeil clos. Leur ventre bat et fume, Et leur sueur dans l'air embrasé monte en brume, Et bourdonnent autour mille insectes ardents ».

Et je m´appliquais à réciter ma poésie en martelant consciencieusement le rythme comme les pachydermes
martelaient le sol dans leur marche.
Puis jeune adulte, je suis partie dans un long périple, magique, fascinant, dangereux d´émotions et de rebellions en traversant le continent africain de
part en part. J´ai chevauché dans le désert avec Isabelle Eberhardt, pris un Thé au Sahara en compagnie de Paul Bowles, descendu vers le Tchad et le Congo avec André Gide -ma première conscience politique, peut-être, en découvrant l´anti-colonialisme, rencontré les Massaï et fait une longue pause au sommet du Kilimandjaro avec Le Lion de Kessel, séjourné avec délice dans La FermeAfricaine
de Karen Blixen.

Moi aussi « J´ai possédé une ferme en Afrique, au pied
du Ngong », moi aussi, j´ai succombé au charme sauvage de Denys Finch Hatton.Je me
serais bien installée dans ces pages poétiques et nostalgiques. Mais j´ai repris ma route et je suis descendue très bas, jusqu´en Afrique du Sud où
André Brink m´a appris qu´Au plus profond de la nuit, on pouvait mourir quand on est un couple mixte au temps de l´Apartheid. Là-encore, je suis repartie et j´ai
traversé des milliers de kilomètres pour partager la vie et les drames d´une famille Cairote avec Naguib Mafhouz dans l´Impasse des deux palais.




Désormais, adulte, l´Afrique ne me fait plus autant rêver. Peut-être plus réaliste, plus mature, bercée par mon intérêt croissant pour la géopolitique, j´ai mal pour elle. Un continent à la dérive, au bord de l´implosion. Une Afrique délaissée magistralement par des gouvernements rancuniers, pillée par des faiseurs d´argent sale, minée par des dirigeants « embokassés ». La corruption, l´errance, la famine, les guerres ethniques, la pauvreté, les maladies, les trafics de tous poils, le sida ravageur, les épreuves sans cesse
réinventées...
Mais jusqu´où va aller l´Afrique dans sa descente aux enfers, dans son tourbillon de malheur et de détresse.

Et vous, Joseph, André, Karen et tous les autres, ceux que j´ai oublié, ceux que j´ai moins aimé, ceux que je ne connais pas encore, vous fait-elle encore rêver cette Afrique-là ?


Mado