Destination : 3 , Chambre avec vue...


Tel est pris qui croyait prendre

« Bonjour à tous. Il est 08h00 sur Air Musique. Voici votre horoscope de ce jour… ». J’éteignis le réveil avant de connaitre la destinée de cette journée. Je n’en avais ni besoin. Ni envie. Je me retournai et enfouis ma tête sous l’oreiller. Les miaulements de mon chat m’obligèrent malgré moi à refaire surface et à immerger de ce si bon sommeil. Je me levai, enfilai ma robe de chambre et rejoignis la cuisine. Je m’aperçus en effet que les croquettes avaient déserté la coupelle de cette boule de poil. Ses pupilles me firent comprendre qu’elle était en pleine agonie alimentaire. J’assouvis donc son besoin et me préparai un café. Mis à part le clapotis de la cafetière, le silence régna. C’est ce dont j’avais besoin. Du silence. Pour me soigner, faire le point sur ma vie, me retrouver. Alors je choisis le chalet de mes parents, au bord d’un lac, au nord du Canada. Cela faisait des semaines que je restai là, sans rien faire, à recharger mes batteries. L’alarme de la cafetière m’avertit que le café était prêt. Je me servis une tasse et retournai dans ma chambre. J’attrapai mon plaid et m’installai dans mon fauteuil, devant ma baie vitrée. Il n’y avait pas de vent aujourd’hui. Le lac fut aussi lisse et reflétant qu’un miroir. Quelques oiseaux rompirent la clarté du ciel. L’orée bordant l’eau était sombre, obscur. Cela m’effrayait de ne pas savoir ce qui se cachait derrière cette noirceur : ours, grizzli, prédateur (animal ou humain)… Je bus une gorgée de café et me plongeai dans mes pensées. Où en étais-je ? Qu’allais-je faire ? Après quelques semaines de dépression, j’avais démissionné de mon emploi. Soudain, je poussai un cri. Un homme avançait vers le lac. Qui pouvait bien connaître cet endroit mis à part moi et ma famille ? Personne ne vivait aux alentours. Il s’arrêta devant l’étendue d’eau et après de longues minutes de fixation, repartit. Je repris enfin ma respiration et calmai les battements de mon cœur. Je ravalai une goutte de café afin de faire disparaitre cette fraicheur qui m’avait envahie. Au moment où je me replongeai dans mes tourments, l’homme revint. Il tenait plusieurs choses de la main droite et un petit coffre de la main gauche. Il traversa le ponton et stoppa au bout de celui-ci. Il déplia une chaise, posa ses affaires et commença à installer un chevalet. Après quelques instants de vas et viens, il s’assit et contempla à nouveau le lac. Il était grand, brun, robuste. Il portait seulement un jean délavé et un pull à col roulé. Si son chevalet n’était pas là, je n’aurais jamais imaginé qu’il était artiste, s’il est vraiment… Si ça se trouve, son chevalet était juste une diversion et il était un vrai psychopathe… J’allai vérifier si ma porte fut bien fermée et me réinstallai dans mon fauteuil de contemplation. L’homme s’était remis en mouvement. Il sortit une palette de magnifiques couleurs, je pus les voir, même de loin. Un noir intense laissa place à un brun doux, puis à un dégradé de bleu, de vert pour rejoindre des teintes rosées… Il dégaina son pinceau, prit une grande inspiration (je vis son torse se soulever), et débuta. Je l’inspectai dans les moindres détails et ses doigts ne peignèrent pas, non … ils dansèrent sur la toile. Ses mains allaient de la palette à la toile aussi rapidement qu’on apercevait à peine ces mouvements. Ses mains m’apprirent beaucoup sur lui. Malgré son corps fort, imposant, ses doigts révélaient sa finesse, sa douceur. Il m’était de profil, je pus ainsi voir ses traits. Il était beau. Cela va sans dire. Il s’arrêta de temps en temps pour boire et grignoter plusieurs encas, des sandwiches de supposai. Cela dura toute la journée. Lorsque la clarté du jour s’en alla, il remballa tout son matériel et partit aussi vite qu’il fut apparu. Je m’aperçus que je ne fis rien de la journée. Je n’avais ni penser, ni manger. Je l’avais observé, je m’étais évadée. Je me couchai après avoir repris un peu vie et m’endormis dans un arc en ciel de couleurs.

« Bonjour à tous. Il est 08h00 sur Air Musique. Voici votre horoscope… » . J’éteignis mon réveil du revers de ma main. Je me levai, m’étirai et comme d’habitude, allai me préparer un café noir. J’étais sûre que l’inconnu allait revenir. J’avais comme l’impression que son tableau n’était pas achevé. Je m’installai dans mon rockingchair, m’enroulai dans mon plaid, et attendis. Je bus une gorgée de café et m’étonnai de voir l’artiste déjà installé sur le ponton. Ses traits étaient tirés, sa barbe mal rasée. Je présumai qu’il avait dû se lever tôt pour profiter de ces si belles teintes de la nature. Penser qu’un inconnu peignait à côté de mon chalet pendant que je dormais me mettait mal à l’aise. Il portait le même jean, avait changé de pull et portait un bonnet. Il devait sans doute faire plus frais dehors. Ses sourcils se froncèrent, ses traits se durcirent. Il était dans un autre monde, son monde à lui comme moi j’avais le mien. Il sortit une bouteille d’eau et un sandwich, le même que ceux d’hier. Puis, il se mit à sourire, un sourire moqueur et de fierté. Il reboucha sa bouteille, la rangea et se tourna, dos à moi. Il tourna également son chevalet et je pus découvrir son esquisse, son œuvre. Je découvris une forêt, celle derrière mon chalet. Je la reconnus de suite, preuve de son talent. Au premier plan, j’observai quelque chose de plus sombre, je ne vis pas très bien. Je me rappelai avoir une paire de jumelles et m’en empara. Je réglai la vue et écarquillai les yeux. Je compris alors son sourire. Mon chalet occupait le premier plan du tableau, dans les moindres détails. La couleur brute de mes volets, la teinte exacte, mon tapis rouge d’entrée, mon bouquet de roses rouges à travers la fenêtre de la cuisine… Puis je dirigeai mes yeux vers le côté gauche, vers la baie vitrée de ma chambre et je me découvris…recroquevillée dans mon vieux fauteuil, une tasse fumante dans les mains. Je posai les jumelles et rougis. Je me sentis vexée, trahie dans mon intimité. Je me vêtis rapidement et transforma la vue de ma chambre en réalité. Arrivée au bout du ponton, mon cœur battit la chamade. Il était toujours de dos. J’inspectai de nouveau le tableau, son repas, son dos…

- Je me demandais si un jour vous alliez sortir de votre chalet ?

- Et moi je me demandais si un jour vous mangeriez autre chose que des sandwiches au beurre de cacahuète ?

MAGUI