Destination : 3 , Chambre avec vue...


Des souvenirs à la fenêtre

Vingt ans bientôt que je n'avais plus posé les pieds dans cette chambre.
Ma chambre Elle a perdu les odeurs de mon enfance.
Elle a perdu sa tapisserie à fleurs, sa grande armoire, ses tomettes.
Les barreaux de la fenêtre ont été sciés. Je les avais déjà supprimés quand il avait fallu dessiner la vue par la fenêtre.
C'était il y a bien longtemps...

Raymond, pieds nus dans le tombereau, plante la fourche dans les grappes encore gorgées de soleil et d'un coup de reins énergique verse le contenu dans le fouloir. Dans un bruit assourdissant, les gros rouleaux à engrenages dévorent le raisin. Le jus est emporté dans les foudres, les déchets finiront de s'égoutter dans les pressoirs. A chaque tour de vis, un liquide vineux, acre s'écoule.

Raymond a perdu de la hauteur, ses pieds touchent le fond du tombereau. Il a troqué sa fourche contre une pelle : aucun grain ne doit être perdu, pas même le jus.
Et hop, il lui reste encore de l'énergie pour sauter par-dessus bord.
Un coup de jet sur les jambes, sur la tête, une gorgée d'eau et déjà une nouvelle charrette se présente

Il fait chaud, malgré le courant d'air qui coulisse sous le hangar. La sueur colle à la peau, au tricot de corps, se mélange au moût sucré, à la poussière, à la peau des grains éclatés, aux débris de feuille. Des traînées
lie-de-vin serpentent sur les bras, les jambes, maculent le visage des travailleurs.
Odeurs chaudes, acres, odeurs sucrées, odeurs des chevaux, odeurs des vendanges.

Sous sa capeline vieux rose, c'est mamé. Elle s'est arrêtée près de la bascule.
- Alors Monsieur Roux, la récolte sera bonne cette année? Et le degré?
Je l'entends d'ici; elle est si sourde qu'elle crie à tue-tête pour se faire entendre !
Elle vient souvent dans la cour de la cave coopérative pendant les vendanges pour faire provision d'engrais. C'est qu'ils aiment le crottin de cheval ses géraniums!

Le marc a fini de sécher dans les pressoirs alignés au soleil. Les énormes galettes vinasses sont constellées de pépins. Caquètements joyeux, les poules accourent; leurs pattes s'activent à la recherche de friandises.

Tii! Tiii! Tiiiii! Ma mère appelle les volailles, une poignée de blé jetée à la volée, bien refermer la porte du poulailler, la nuit va bientôt tomber.

Mireille