Destination : 3 , Chambre avec vue...


Du haut de ma terrasse

Je suis rentrée à petits pas dans cette maison où je n'ai pas mis les pieds depuis longtemps. Ses habitants, deux grand-tantes, n'y étaient plus, la maladie, la mort, ont eu raison de ces personnes, mon port d'attache dans cette petite ville qui m'a vue naître et que j'ai gardée en mon coeur comme on garde un amour d'enfance .
J'ai beaucoup aimé cette maison qui avait des fenêtres comme toute maison, mais de ces fenêtres-là , j'ai gardé le souvenir de la claustration, haut placées, enfermées par une cage en fer forgé, elles me rébutaient .On m'y installait petite, les jambes pendantes à travers les barreaux et on refermait la vitre derrière moi.
Je restais ainsi des heures, à regarder la rue, les passants; jusqu'à ce que, excédée, je frappais trés fort sur les carreaux pour qu'on m'en sorte.
Ma fenètre à moi, là-bas était le petit jardinet, petit mais si parfumé. Dans un coin, un rosier rabougri, prodigue de roses blanches au parfum acidulé, juste à coté, branches contre branches, un jasmin qu'on allait dégarnir de ses fleurs en début d'aprés-midi pour en faire des colliers, des bracelets, le reste, les fleurs les plus épanouies, on les lançait par poignées sur les lits pour en parfumer les draps, la chambre et retrouver le soir , cette odeur subtile et si particulière au jasmin . Du jardinet, on pouvait accéder à la terrasse. Ce jour-là, j'ai voulu voir moi aussi, ce que voyait la petite fille, accoudée à la balustrade, légèrement penchée en avant pour ne rien rater du spectacle qui s'offrait à ses yeux, le jour, la nuit.
A mes pieds, s'étendait le grand café-restaurant comme avant, mais ma taille adulte m'empèchait de voir bien des choses et ce que je voyais, je ne le reconnaissais pas, je n'en voulais pas, j'eus alors l'idée de m'accroupir jusqu'à redevenir la petite fille qui se dressait sur ses talons , j'ai vu la fumée qui se dégageait des grandes marmites , les briks à l'oeuf qu'on plongeait dans l'huile bouillonnante et qu'on remontait dorés à point, les chips croustillantes, les chichis qui remontaient de leur bain de friture tout aussi apétissants, les enfants attroupés, se lèchant les doigts à l'avance du sucre dans lequel allait les enrober l'apprenti cuisinier tout aussi jeune que ses petits clients, parfois.
Quelques marches plus haut, le café maure, les banquettes en céramique bleue et blanche, les tables basses mais surtout, je voyais, sur la placette , le chameau qui tournait autour du puits , les yeux bandés, pour faire tourner une grande roue et faire remonter à l'aide d'une poulie, deux grosses cruches qui, à peine remplies d'eau, se déversaient et retournaient se remplir. le café ne désemplissait pas, et moi, je ne me lassais pas de regarder les gens manger, boire, entrer, sortir, faire la queue, les enfants, semant la pagaille, courant de tous côtés , échappant à la garde de leurs parents qui les punissaient parfois d'une giffle ou d'une claque.
Je ne me lassais pas du spectacle mais je m'inquiétais du silence autour de moi, d'habitude, à cette heure de l'aprés-midi, j'étais moi-aussi dehors pour ma promenade quotidienne, on m'appellait d'en-bas, pour me préparer , me changer pour aller sur la plage ou aller manger une glace, j'aurais bien aimé entrer au café et regarder de prés ce que je regardais d'en haut mais mes tantes n'ont jamais mis les pieds dans un café, cela ne se faisait pas à leur époque et elles n'allaient pas changer à cet âge , je me résignais sans trop insister mais je ne comprenais pas. Il m'a fallu du temps pour reprendre mes esprits, mon âge, ma taille et retourner dans le petit jardin dont les arbustes n'ont pas résisté à l'abanbon.


Ameline